L'endroit n'est longtemps qu'un simple lieu-dit, quelques hectares de prairies naturelles alimentés par des sources artésiennes, jaillies au milieu du désert. Un jeune Mexicain les a découvertes en 1829 : c'est une bonne étape, qui raccourcit la route traditionnelle entre Nouveau-Mexique et Californie. En espagnol, las vegas signifie "Les Prairies".
Paysage du Nevada : un peu d'humidité devait faire plaisir ! (09/01)
Lorsqu'ils arrivent au Grand Lac Salé, dans une région qui n'appartient pas encore aux USA, les Mormons tentent de créer un Etat qu'ils pourront gouverner à leur guise, avec une constitution rédigée par eux-mêmes. Ils revendiquent officiellement un territoire qu'ils nomment "Deseret", où les Prairies sont un relais sur la route éprouvante entre Salt Lake City et Los Angeles.
Frontières approximatives de l'Etat de Deseret, revendiqué pour les Mormons par Brigham Young
En 1855, Brigham Young y envoie deux groupes d'hommes : le premier doit fonder un village, et l'autre exploiter un gisement de plomb à proximité. C'est déjà plus de monde que la terre n'en peut nourrir : moins de deux ans plus tard, tous quittent la région. Plus tard, des vagues de mineurs viendront extraire l'argent qui gît avec le plomb : l'un d'eux trouve plus intéressant de fonder un ranch sur le pâturage. Pendant 40 ans, l'élevage sera la seule activité de la région.
En bons termes avec les indiens, mais tout de même prudents ! (05/08)
Mormon Fort, rebâti, s'est adjoint un musée (05/08)
1905 voit la naissance de la ligne de chemin de fer "San Pedro, Los Angeles & Salt Lake". Las Vegas devient une station au milieu du désert, l'endroit où on fait de l'eau, où l'on se rafraîchit quelques minutes, où montent ou descendent les prospecteurs. Les mines semblent la seule raison de s'arrêter là, mais l'arrivée du chemin de fer suffit à provoquer un mouvement de spéculation : les terrains du ranch, rachetés par la compagnie ferroviaire et divisés en lots, se vendent avec un gros profit. En 1911, la compagnie ouvre un atelier d'entretien dans le village : sa population double ! Ce ne sont que 3000 personnes, mais six ans avant, il n'y avait ici que quelques cow-boys.
De toute façon, la bourgade serait incapable d'accueillir beaucoup de monde : on a beau forer de nouveaux puits, l'eau manque. Achevé en 1935, un barrage sur le Colorado va changer l'Histoire : le Lake Mead sera la plus grande retenue du monde. Le chantier du "Hoover Dam" a employé beaucoup de gens ; la plupart étaient logés à Boulder City, construite pour les ouvriers du chantier, une ville ordonnée, l'une des deux au Nevada où le jeu soit toujours interdit. Beaucoup de curieux viennent voir l'ouvrage, et on ouvre les premiers casinos du Downtown... En 1940, Las Vegas a 8400 habitants.
Le barrage de Hoover (09/01)
En mars 1931, une loi historique du Nevada a libéré l'organisation du jeu, mais les habitudes sont longues à changer. A Las Vegas, une des dernières "frontières" de l'Ouest américain, comme lorsque le jeu était clandestin, les parties de poker se jouent toujours dans l'arrière-salle des bars et des bordels du Bloc 16. Pendant ce temps, les premiers casinos populaires se développent à Reno et Elko.
Downtown (09/83)
La Seconde Guerre Mondiale amène de nouvelles activités. Une base militaire s'installe au nord de la ville ; au sud, une usine de magnésium, qui profite de l'énergie bon marché, donne naissance à Henderson, où elle loge ses dix mille employés et leurs familles. Au cours des années 1950, les déserts voisins servent aux essais de bombes atomiques : de nouveaux métiers naissent.
En 1941, une chaîne de motels californienne fonde un nouvel établissement à l'entrée sud de l'agglomération, sur la Highway 91, la route de Los Angeles. L'agglomération est beaucoup moins étendue qu'aujourd'hui et, au niveau de l'actuel Sahara, El Rancho Motel est hors limites de la municipalité. L'établissement affiche un style rustique quelque peu hispanique, avec une grande éolienne sur le toit. On y fait des promenades à cheval mais son attrait principal, c'est sa grande piscine qui, visible de la route, miroite aux yeux des voyageurs en train de griller dans des voitures sans air conditionné. Les gens s'arrêtent !
El Rancho a aussi des machines à sous, des tables de roulette, de baccarat et de poker. Les profits qu'en retire l'exploitant sont minimes en regard des autres sources de revenu de l'hôtel, mais cela fait d'El Rancho le premier casino du Strip. Bientôt, le motel gagne la clientèle de grands acteurs : Clark Gable, Zsa Zsa Gabor, Spencer Tracy, Paul Newman... En 1960, il brûle. Il ne sera pas reconstruit. Dix ans plus tard, Howard Hughes achète pour 10 millions de dollars le terrain payé 100 dollars en 1938. En 2010, celui-ci était toujours en friche.
Ben Bugsy Siegel construit le Flamingo en 1946, encore plus loin du centre : c'est le premier grand hôtel-casino de luxe. Franck Costello et Lucky Luciano ont financé l'opération. Depuis longtemps, ils suspectent Siegel de puiser dans la caisse. Ils l'ont prévenu : si le rendement n'est pas bon... Le démarrage est désastreux ! Deux semaines après l'ouverture, Siegel est assassiné. Le Flamingo passe aux mains d'un caïd du jeu de Phoenix et prend son essor. Il n'a alors que 105 chambres.
Barbary Coast (devenu Bill's Gambling Hall) et, derrière, le Flamingo. Entre les deux, quelques-uns des innombrables câbles électriques qui alimentent lumières et machines (09/98)
Traditionnellement, les candidats au divorce allaient à Reno. Las Vegas, beaucoup plus proche des grandes villes du sud de la Californie, San Diego, Los Angeles et Hollywood, en attire un nombre grandissant. Les grands noms du show-business viennent pour travailler ou se détendre et le public les suit. Les casinos organisent des spectacles de toutes sortes : parades équestres, danse, théâtre, opéra, music-hall... Les visiteurs sont de plus en plus nombreux, et avec eux arrivent les profits et l'espoir de grandir !
Le succès du Flamingo a fait naître des idées : quel meilleur moyen de recycler l'argent sale que les énormes sommes brassées par ces usines du jeu, dont le contrôle est d'autant plus difficile qu'elles sont implantées hors de la ville et de sa juridiction ? Une grande période de construction commence. Les Strip Ladies _les Dames du Strip, comme on les appelle, se multiplient : Desert Inn et Silver Slipper, en 1950 ; Sahara et Sands en 1952 ; Dunes, Royal Nevada et Riviera en 1955 ; Hacienda en 1956 ; Tropicana en 1957 ; Stardust, en 1958 ; San Souci en 1960 ; Westward Ho en 1963 ; Aladdin et Ceasar's Palace en 1966...
Photos d'archive
Stardust (09/83)
Westward Ho et Riviera (09/83) | Dunes et Oasis (09/83) |
La réputation de Vegas n'était que douteuse. Maintenant, le scandale se répand. Bientôt, les consciences s'éveillent ! Habitants, politiciens, administrations veulent plus de respectabilité, plus de morale, moins de crime... et pouvoir lever l'impôt ! La ville durcit l'attribution des licences, réglemente la vente d'alcool, contrôle l'occupation des sols, édicte des règlements draconiens sur la construction et la sécurité contre l'incendie. En 1960, les habitants _ils sont maintenant 64 000, cessent de parler de Downtown : ils diront désormais "Casino Center". Une commission d'enquête désigne des personnages qui ne pourront plus être propriétaires, de près ou de loin, d'un casino. Frank Sinatra est cité : ses relations dans la pègre, dues à ses origines italiennes, sont un peu trop voyantes ! Jimmy Hoffa, patron du syndicat des Teamsters, (les transporteurs routiers), est également mouillé : l'association a investi de fortes sommes dans les casinos. Il disparaîtra en 1975, quelques années après la fin de son mandat : certains tiennent qu'on l'a assassiné, d'autres qu'il a tout simplement changé d'identité.
L'enseigne lumineuse fait désormais partie du patrimoine : le Neon Museum réhabilite les pièces anciennes. Beaucoup sont exposées dans les rues (05/08)
Howard Hughes arrive en 1966. Il souffre des séquelles d'un accident survenu alors qu'il essayait un nouvel avion à réaction, et prend de la morphine pour oublier la douleur. Venu de Los Angeles, il fuit le monde et ne voit plus que ses conseillers directs. Il a loué un étage du Desert Inn.
Son père a inventé et produit le premier trépan de forage pétrolier, et laissé une entreprise prospère. Hughes, à 18 ans, ne se sent pas capable de diriger la société lui-même : il a le talent d'embaucher l'homme qui la gérera pour lui. Il a beaucoup d'argent, s'essaye avec succès au cinéma, puis redresse la TWA, petite compagnie aérienne à l'époque. Dans un marché national trop étroit, le premier, Hughes a l'idée d'offrir des vols commerciaux transatlantiques. Il fait dessiner le Constellation par Lockheed en 1939. La Deuxième Guerre Mondiale commence : elle va favoriser l'essor de la compagnie. L'armée a besoin d'avions : produit en quantités plus grandes, le Constellation coûtera moins cher. De plus, l'armée établit et teste les routes aériennes entre l'Amérique et l'Angleterre. Le premier prototype du Constellation vole en 1943. L'exploitation commerciale débute en 1946. C'est un vol historique : pour la première fois, le "Connie" transporte 44 passagers des Etats-Unis vers l'Europe !
Un Constellation, facile à reconnaître grâce à son empennage à trois dérives (09/06)
Le Desert Inn, qui manque de chambres pour les joueurs, demande à récupérer son étage : immédiatement, Hughes achète l'hôtel, deux fois son prix ! Le voici propriétaire d'un casino. Une loi nouvelle autorise les sociétés anonymes à posséder des établissements de jeu et il achète aussi le Sands, le Frontier, le Castaway, plus le Silver Slipper dont l'enseigne éclaire malencontreusement sa chambre. La comptabilité des "corporations" est contrôlée, et cet équivalent de nos sociétés anonymes paient des impôts : respectabilité réelle ou supposée, la ville devient plus fréquentable. La bonne image de Howard Hughes s'ajoute pour redorer son blason. Bien que des hommes de paille masquent ses agissements pendant quelques années, on pense que la pègre disparaît de l'industrie du jeu vers le milieu des années 80.
Arrivée au Ceasars Palace : des voituriers rémunérés au pourboire garent les véhicules des clients (09/83)
Grande entrée du Circus Circus (09/83)
Le Strip continue de grandir : Bonanza en 1967 ; Circus-Circus en 1972 ; Riata en 1973 ; Marina en 1975 ; Barbary Coast, Imperial Palace en 1979 ; O'Shea's en 1989 ; Excalibur en 1990 ; Casino Royale en 1992 ; Luxor et Treasure Island, en 1993 ; New York-New York en 1997. En 93, le Dunes est dynamité : la construction du Bellagio, qui le remplace avec plus de 3000 chambres, s'achève en 1998. Le Paris-Las Vegas est terminé en 1999. Le Strip s'allonge sur cinq kilomètres.
New York-New-York, pris du MGM Grand (02/03)
De nuit plus encore que de jour, lorsqu'on arrive du nord par l'US 95 ou de l'est par l'Interstate 15, l'étendue de l'agglomération est manifeste. Le nombre des chambres est passé de 1800 en 1953 à plus de 124 000 en mai 2001. Un tiers de l'année, elles sont occupées à 100%. La population croît avec l'activité : l'agglomération avait un million trois cent mille habitants en 2001; on prévoyait alors qu'elle devrait atteindre deux millions en 2005.
Les jets d'eau du Bellagio (09/01)
Mais la crise mondiale a fait son oeuvre et, en 2009, la population de l'agglomération dépassait à peine 1 900 000 personnes, avec un taux de chômage de 14% : du jamais vu ! De grands hôtels ont failli fermer, de grands chantiers ont ralenti, se sont momentanément arrêtés, mais de nouveaux casinos ont ouvert : en 2003, Planet Hollywood rachetait l'Aladdin. Le Wynn ouvrit en 2005, et son jeune frère, le Wynn Encore, un an plus tard. En 2007, c'était le Palazzo, extension du Venetian; en 2008, le Trump, l'Aria en 2009 et le Cosmopolitan en 2010. Cette année-là, le nombre des chambres d'hôtel frôlait 150 000, avec, il est vrai, un taux d'occupation en recul par rapport à la décennie précédente.
Le développement de cette ville étonnante est-il sans limite ? Le manque d'eau, prévoient certains, y mettra un terme : la seule abondante, celle du Colorado, n'est pas inépuisable. Mais si l'argent continue d'affluer, qui sait ce qu'on imaginera pour aller de l'avant ?
L'as Vegas ? (09/83)
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